samedi 10 mars 2012

Hommage musical

Scène nocturne (détail)
M. Matsu - 1930-40
Ohmi Gallery, Yokohama

Il y a un peu moins d'un an, j'allumais une lanterne pour le Japon. Aujourd'hui, mieux que des mots, la musique associée aux estampes me semble bien convenir pour rendre hommage au courage des habitants de ce pays si durement éprouvé.


Jeune femme jouant du Shamisen (détail)
Kitagawa Utamaro - 1805
Museum of Fine Arts, Boston (notice et peinture entière)


La musique traditionnelle du Japon se joue principalement sur des instruments à cordes : le koto, le biwa, et le shamisen. Les autres instruments sont la flûte shakuhachi et les tambours taiko.


Japonaise jouant du koto
Settei Hasegawa - 1878
Bibliothèque du Congrès, Washington

Le koto - comparé poétiquement à un dragon couché sur une plage et conversant avec les vagues - est une cithare comportant treize cordes de soie tressée, fixées sur un corps en bois de paulownia. Cet instrument se joue posé sur le sol, ou sur une table basse devant laquelle s'agenouille l'interprète.


Joueuse de Koto
Utagawa Kunisada (1786-1865)
Museum of Fine Arts, Boston (notice)

D'abord instrument de musique religieuse, le koto est devenu profane à partir du IXe siècle pour jouer la musique savante à caractère intime. Au Japon, jouer du koto est la marque d'une éducation raffinée, pour les femmes en particulier.


Sanka (chant de louange) interprété par Sawako Yoshiwara
à partir de la quatrième minute, le son et la mélodie évoquent la harpe celtique



Autre instrument à cordes japonais, le biwa.
Comme le shamisen, c'est un luth, mais un luth à manche court. Le biwa est l'instrument de la déesse Benzaiten, l'égale de Sarasvati la parèdre de Brahma, celle qui préside aux fonctions intellectuelles et artistiques.

Quatre cordes de la lune (série 100 aspects de la lune)
Tsukioka, ou Taiso, Yoshitoshi - 1891

Le biwa tire son origine d'un instrument de la musique chinoise, le pipa. Cependant, le biwa est arrivé au Japon dès le VIIIe siècle. Primitivement joué à cheval et porté en bandoulière, le biwa était pratiqué en percussion, plutôt que mélodiquement. Aujourd'hui utilisé dans les pièces de la musique lyrique traditionnelle et pour la danse bugaku, le biwa a joué un rôle important dans l'accompagnement des récits héroïques et dans la musique de cour (orchestre impérial).




Dans la vidéo ci-dessus, la musicienne chante le prélude du "Heike monogatari" (le Dit des Heike), une épopée relatant une lutte entre deux clans, pour le contrôle du Japon au XIIe siècle. Considéré comme l'un des grands classiques de la littérature japonaise médiévale, le "Heike monogatari" est issu de la tradition orale des Biwa hōshi, ces bonzes aveugles qui sillonnaient le pays pour gagner leur vie en récitant des poèmes épiques tout en s'accompagnant au biwa.

La lune au Mont Miyaji (série 100 aspects de la lune)
Tsukioka, ou Taiso, Yoshitoshi - 1889



Dernier, mais pas des moindres, le shamisen (littéralement “trois cordes parfumées”) est l'instrument à cordes le plus populaire et le plus répandu au Japon. Issu du san-hsien chinois, il est entré assez tardivement au Japon (vers 1560) et fut utilisé au départ pour l'accompagnement des chansons paysannes.


Serpent blanc sur un shamisen
Hokushin - 1851
Museum of Fine Arts, Boston (notice)


Plus tard, le genre musical "shamisen", qui tirait son nom de l'instrument, se répandit également parmi les populations citadines. Il fut alors adopté dans toutes les fêtes et en tous lieux, publics ou privés. Vers le milieu du XVIIe siècle, il fut utilisé au théâtre, tant dans le "Bunraku" que dans le "Kabuki" et il l'est encore de nos jours.

Camélia (série "Fleurs d'Edo")
Kitagawa Utamaro - vers 1803
MFA, Boston (notice)
Feuilles d'érable (série "Fleurs d'Edo")
Kitagawa Utamaro - vers 1803
MFA, Boston (notice)


















 Le shamisen est l'instrument de musique favori des geishas.



Shamisen et chant traditionnel

En dehors d'un commentaire qui évoque la poésie d'une méditation assis dans une forêt de pins contemplant la mer en se laissant envahir par la douceur de la pluie, il n'y a pas d'autre information concernant la vidéo ci-dessus.

Le shamisen est également joué de manière très moderne par les japonnais contemporains, tel le jeune homme de la vidéo ci-dessous qui utilise son instrument en véritable virtuose. Par instant sa musique ressemble étrangement à celle du banjo


Shamisen joué de manière contemporaine


Pour terminer cet aperçu des instruments à cordes de la musique japonaise, un ensemble de kotos joués par de très jeunes femmes


Ensemble de kotos
élèves du lycée de Sanuma, préfecture de Miyagi

Sources :
- Les instruments de musique dans le monde, de François-René Tranchefort, éditions du Seuil

- Wikipédia



©VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012

36 commentaires :

  1. Merci pour le tout, estampes et musiques... Et bon dimanche à toi. Bises de nous deux

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    1. Merci pour ta fidélité et bonne semaine à vous deux, avec bises légères pour le printemps qui s'annonce

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  2. Bonjour, Tilia.

    Un si bel hommage, tout en finesse et et en culture perlée.

    Je n'ai pas tout écouté.
    Je reviendrai.

    Merci beaucoup pour cette nouvelle richesse.

    Bisous

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    1. Premier printemps -
      la pluie perle
      sur les branches encore nues


      Takahama Kyoshi (1874-1959)

      Bises ensoleillées

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  3. Belle idée que cet hommage pour un terrible anniversaire.
    J'ai appris plein de choses sur la musique japonaise.
    Hier soir on a regardé le troisième volet du reportage d'un homme qui traverse le Japon du nord au sud en stop avec une caméra en se faisant héberger. On a aussi appris pas mal de choses, notamment que les Japonais ne s'hébergent pas entre eux, ou tout au moins ne se le demandent pas. Ils ne se parleraient que très peu entre eux...
    Étonnant pays.

    Je voulais l'écrire en japonais, mais la traduction en retour est catastrophique !

    美しいという考えひどい周年にこのトリビュート。
    私は日本の音楽について多くのことを学びました。
    昨夜は、ホストであることによって、カメラのストップを北から南へ日本を走る男の物語の第三弾を見ました。また、日本はそれらをホストしていないか、または少なくとも聞いていないことを含む、多くのことを学びました。彼らは非常にほとんど話せません...
    素晴らしい国です。

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    1. Étonnant pays. Je comprends ce que tu veux dire.
      Pourtant, si tu as le temps de lire cet article, il me semble qu'il est assez semblable au nôtre...

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  4. magnifique hommage ... tout en retenue...

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  5. C'est terrible ce qui est arrivé au Japon, tu lui rends un bel hommage ! C'est une culture que je connais très peu et ta page va beaucoup m'éclairer, je reviendrai plusieurs fois la lire et écouter les vidéo, merci à toi !
    Et quand je pense qu'il y a 19 réacteurs nucléaires rien que dans la vallée du Rhône...
    Bonne semaine Tilia

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    1. Ce petit livre de Philippe Pons est parfait pour avoir un bon aperçu de la civilisation japonaise, passée et contemporaine, enfin... presque contemporaine, ce livre date de 1981.

      Quant à celui de Roland Barthes "L'Empire des signes", il est incontournable.

      La chaîne humaine contre le nucléaire entre Lyon et Avignon. Il est réjouissant de voir qu'il y avait plus de monde sur ce parcours qu'au sakoshow de Villepinte !

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  6. Merci Tilia pour cet hommage musical au Japon. Ton billet est comme toujours très complet, très épluché, c'est formidable. Mis à part le koto, je ne connaissais pas lenom de ces instruments. Le son du koto et du shamisen, la musique Japonaise (et Chinoise aussi) me ravissent, c'est apaisant. j'aime ces sonorités.
    Je reste en admitation devant "Quatre cordes de la Lune au Mont Miyaji" de la série des "Cents aspects de la Lune" de Yoshitoshi.

    Belle semaine, tilia,
    Je reviendrai écouter de nouveau ce sanka, il est superbe.
    Bisous
    Nath.

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    1. Dans mes bras Nathanaëlle ! Le musicien de Quatre cordes de la lune est fascinant. C'est l'estampe japonaise que je préfère (j'ai rectifié le titre, une erreur s'étant glissée lors du copié-collé). Dans mon hit-parade elle se situe juste devant celle-ci et celle-là.

      À tantôt, Nathanaëlle, bisous et belle semaine pour toi aussi

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  7. Passionné de musique, j'aime beaucoup cette note ! Le sanka est d'une grande douceur

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    1. Tu dois aussi aimer les haïkus, je pense...
      Poursuivie
      la luciole s'abrite
      dans un rayon de lune


      Ôshima Ryôta (1718-1787)

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  8. Un billet superbe de beauté et recherche Tilia

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  9. Je ne m'aventurerai pas sur le chemin de la musique, ma mère avait beaucoup de disques qu’elle n'écoutait plus guère vers la fin de sa vie : trop de nostalgie...
    Tu pourrais aussi nous entrainer > l'influence des estampes japonaises sur les peintres ?

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    1. Les Impressionnistes se sont inspirés des estampes japonaises et vice-versa. En complément à cet article, j'ajouterai que le haïku n'est rien d'autre qu'un poème instantané, au sens photographique du terme.

      Il est possible que je publie dans quelques temps des haïkus en relation avec des estampes (si je n'oublie pas cette idée d'ici là !).

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  10. Quelle belle note en hommage au Japon si cruellement frappé par la Nature en colère. Je lis depuis quelque temps les oeuvres de Tanizaki et ces divers instruments me sont devenus quasiment familiers. Me manquaient quelques exemples musicaux. Me voici donc comblé.

    Le shamisem a supplanté le biwa, la flûte traditionnelle. Il accompagne obligatoirement encore aujourd'hui le théâtre de poupées.
    Le koto est une sorte de cithare qui possède actuellement 13 cordes. Les plus anciens n'en possédaient que 5 ou 6.

    Tous ces instruments sont joués en solo ou en de petits ensembles pour des cérémonies rituelless ou accompagner la diction de textes.

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    1. « Car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables.
      De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or.
      »

      Jun'ichirō Tanizaki, Éloge de l’ombre
      traduit du japonais par René Sieffert, Publications Orientalistes de France 1985

      À la lecture de ce passage, on se croirait dans un livre de Bachelard.

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    2. Un très beau texte de Tanizaki que j'ai lu avec un grand plaisir et où l'auteur tente une controntation Orient-Occident.
      Merci Tilia.

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  11. J'aime beaucoup l'extrait du koto par Sawako ! C'est mon morceau préféré ! Merci Tilia !

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    1. Oui Enitram, moi aussi j'aime bien Sawako.
      Cependant j'aime également la dernière vidéo, celle de l'ensemble de kotos joué par les lycéennes de Sanuma.
      Je suis persuadée que cette musique est un morceau d'un compositeur occidental du début XXe. Je ne désespère pas de l'identifier un jour !...

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  12. Une idée lumineuse que de faire un post tel que celui-là. Je suis l'évolution de la reconstruction sur le blog de Flo de Sendaï. Je n'ai pas le temps ce matin, Tilia, mais reviens demain sans faute. Je veux prendre le temps de tout lire.

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  13. Toutes en minutie et en finesse,
    Tandis que s'égrènent les notes,
    Nous voilà plongée au coeur du Japon
    Entre l'ancien... et le moderne.
    Ces estampes sont magnifiques et illustrent tellement bien ton billet : bravo !

    Biseeeeeeeeeeeees de Christineeeeeeeeeeee

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    1. Merci Christineeeee. Quand l'occasion se présentera, je ferai un billet sur la flûte shakuhachi et-ou le tambour taiko.

      Bisous, à bientôt

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  14. Me voilà !
    C'est un très bel hommage que tu rends au Japon, après cette terrible catastrophe, tout en musique et en jolies estampes.
    L'ampleur de la catastrophe fut-elle, que le pays a du mal à s'en remettre. La reconstruction est lente car le déblaiement
    s'avère long. Ce qui est épouvantable pour les familles est qu'il y a plus de 3000 disparus.
    J'aime bien la première image, la peinture nocturne.
    Bonne journée !
    PS, J'aime bien aussi le nom que tu donnes à ma bricole room ! Tu sais concernant le bricolage, le travail mal fait, il y a des amateurs qui bricolent mieux que des pros. Et là, concernant ces derniers, on peut dire que c'est du bricolage.

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    1. Avec Hiroshima et Nagasaki en 1945 + la catastrophe de Fukushima, le Japon est malheureusement en train de devenir un terrain d'expérience en matière de radioactivité :((

      Contente de voir que toi aussi tu aimes les images nocturnes. Nés à l'époque de l'année où les journées se déroulent en partie de nuit, il est logique que les Capricornes aient une accointance particulière avec les lumières nocturnes.

      Bises et bonne fin de semaine, Claude

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  15. Puis-je me permettre de revenir sur le Koto ? Continuant ma lecture de Tanizaki, hier soir, je trouve cette description :

    " Une fois ôtée la housse imperméabilisée à la couleur fanée, apparut le koto de six pieds (1,80 m), laqué avec motifs en poudre d'or, que le temps avait marqué, mais qui restait superbe. A part la table, le décor en poudre d'or couvrait presque tout l'instrument. Sur les côtés (les grèves) semblait être représenté le sanctuaire de Sumiyoshi : on voyait d'un côté un portique et un pont en dos d'âne au milieu d'un bosquet de pins, de l'autre, une grande lanterne de pierre, des pins aux branches tombantes et les vagues de la plage. A une extrémité - la partie qu'on appelle "la mer" - ainsi que près du cordier (vers la "corne du dragon" et les "quatre dixièmes et six", on avait représenté d'innombrables pluviers en vol, tandis qu'à l'autre extrémité, vers l' "étoffe de roseaux", sur la partie "feuille de chêne", on apercevait, sous les cordes, des nuées de cinq couleurs, ainsi que des êtres célestes. Le bois de paulownia ayant foncé avec le temps, le semis d'or ainsi que les couleurs peintes caressaient les yeux de reflets plus doux et plus raffinés encore..."
    Un instrument d'exception jouant un rôle dans "Yoshino", de Tanizaki.

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    1. Merci, Jeandler, pour cette belle description d'un instrument si précieusement décoré. Le koto peint par Kunisada (quatrième estampe en partant du haut) me semble bien l'illustrer.

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  16. Une fois encore, merci de cette note si riche où il y a à voir, à entendre et à apprendre!
    Je la relie très fortement à une merveille de film qui m'est restée gravée: La ballade de Narayama de Shoeï Imamura (palme d'or à Cannes en 83)...
    La finesse des dessins...

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    1. Moi aussi je me souviens de "La ballade de Narayama", un film poignant s'il en est. Dans un autre genre, auriez-vous vu "Rhapsodie en août" de Kurosawa ?

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  17. Je regarde de nouveau la scène nocturne, il y a beaucoup de nostalgie qui s'en dégage, toutes ces petites vies qui se signalent avec l'éclairage doré. Cette peinture me rappelle le film d'animation "le voyage de Chihiro" de Myasaki. Des endroits comme celui-là j'en ai rencontrés ailleurs, sur les bords du lac de Constance à Constance par exemple. Lieux de plaisir dont il est possible de s'isoler dans la nuit...

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  18. Parfait rapprochement, Cergie ! je suis tout à fait d'accord avec toi. De plus, j'ai adoré "Le voyage de Chihiro", comme tous les autres Miyazaki d'ailleurs. Chihiro est mon préféré, à égalité avec "Le château ambulant".

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    1. Un billet passionnant comme d'habitude! Mais je reviendrai car les vidéos ne fonctionnent pas ce soir!

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