dimanche 24 avril 2011

Lapins peints

Lièvre, ou lapin, de Pâques 
quelle est sa couleur ?...

Je l'imagine  blanche ou crème


En raison de leur facilité à se reproduire en grand nombre, lièvres et  lapins sont confondus dans un même symbolisme de sexualité débridée et de fécondité. Le lièvre, ou le lapin, pondant des oeufs multicolores pour la plus grand joie des enfants qui les découvriront dans leur jardin le jour de Pâques, correspond bien aux anciennes célébrations du Printemps.
The White Rabbit
John Roddam Spencer-Stanhope - (1829-1908)
collection privée
Faut-il voir dans le lapin blanc que la jeune fille tente d'apprivoiser le symbole de sa sexualité naissante ? Les baigneurs de l'arrière plan incitent à le penser.


Suzanne et les vieillards
Leandro Bassano - fin 16e-début 17e siècle
Alte Pinakothek, Munich
Suzanne et les vieillards
Bartolommeo  Guidobono - dernier quart du 17e siècle
Musée du Louvre - notice du musée
À environ un siècle d'intervalle, les peintres des deux tableaux ci-dessus ont  illustré l'épisode biblique de la chaste Suzanne surprise par deux vieillards lubriques lors de sa toilette, et tous les deux ont fait figurer au premier plan une paire de lapins blancs...

En peinture, le symbolisme du lapin est ambivalent, un seul évoquerait la pureté, comme dans "La Vierge au Lapin" ci-dessous, alors que plusieurs constituent au contraire un symbole érotique.

La Vierge à l'Enfant avec sainte Catherine et un berger
ou
La Vierge au lapin
Tiziano Vecellio, dit Titien - 1525-30
Musée du Louvre - notice du musée
"L'œuvre à la loupe" réalisée par le musée du Louvre, que vous pouvez voir et écouter en cliquant ici, décrit La Vierge au lapin avec minutie et attire notre attention sur le mouton noir caressé par le berger, mais rien n'y est dit sur le symbolisme du lapin caressé par la Vierge...


Femme tenant un lapin blanc
Anonyme, dans le style d'Hokusaï
Musée Guimet, Paris

Daikoku tenant un lièvre
Bogukai - 1867
collection privée
Daikokuten, ou Daikoku, est parmi les nombreuses divinités shintoïstes du Japon, le kami de la richesse, du commerce et des échanges. Un équivalent du dieu Mercure, en quelque sorte...


Lièvres à la pleine lune d’Automne
Suzuki Harunobu
(1725-1770)
Museum of Fine Arts, Boston (U.S.A.) notice
Une légende qui court du Vietnam au Japon, en passant par la Chine et la Corée, raconte qu'un lièvre, ou un lapin, vit dans la lune. Les japonnais voient dans les dessins de la surface de la lune la silhouette de ce lapin occupé à préparer des "dango mochi" (boules de riz collant) et il est fêté à O Tsuki-mi, lors de la première pleine lune d'automne.

Suzuki Harunobu fait partie des plus célèbres peintres d'estampes japonaises du mouvement Ukiyo-e. Le MBA de Boston possède une grande quantité de ses œuvres, à admirer en cliquant ici.


Au clair de la lune, un petit lapin...
Nature morte au lapin blanc
David de Coninck - 1699
Palais Fesch, Ajaccio - notice du musée
qui mange des prunes comme un petit coquin !


Venus, Mars et l'Amour (détail) tableau entier ici
Piero di Cosimo - 1490
Gemäldegalerie, Staatliche Museen,  Berlin
Découvrez et visitez le musée de Berlin avec Google Art Project
Entre Vénus et Mars,
le lièvre est ici un chaud lapin.
Après l'action, Mars pique un petit roupillon histoire de se ragaillardir un brin, Cupidon admire les papillons qui voltigent autour de sa tête et Vénus aime les bouquins (les rougeurs au bas de son ventre ne laissent aucun doute sur la vigueur de son amant !).


Le Triomphe de Vénus
Francesco del Cossa - vers 1470
Fresque du Palazzo Schifanoia, Ferrare (Italie)
Le triomphe de Vénus, avec pas moins de six "bouquins"
voila  de quoi écrire un roman fleuve !

À l'exact opposé du triomphe de Vénus, St Jérôme semble méditer et ne pas se laisser distraire par les amours du bouquin blanc pour la hase brune !

Saint Jérôme lisant
Giovanni Bellini - 1505
NGA, Washington (U.S.A.) notice du musée


En train de nourrir son animal favori, avec ce qui me paraît être des feuilles de pissenlits, c'est un bien charmant jeune garçon qui termine ci-dessous ma série de lapins peints.
Boy with a rabbit
Sir Henry Raeburn - 1814
collection privée
©VesperTilia, echos-de-mon-grenier 2011

samedi 23 avril 2011

Histoire d'œuf

Avant toute chose, je vous souhaite de

Le Jardin des délices
Jérôme Bosch - 1500-1505
Museo del Prado, Madrid - notice et image du musée


Cet œuf du Jardin des Délices symboliserait-il ici la nostalgie de l'état primordial, un désir de retourner à la perfection de l'Androgyne ?


L'Androgyne
Rosarium Philosophorum, Francoforti, Cyriaci Iacobi, 1550
(images XVIII à voir sur cette page)

En alchimie, l'œuf philosophique est l'Œuf  du monde, un modèle réduit de la création. Il représente le vase dans lequel s'opère la transmutation de la Materia prima, jusqu'à l'obtention du Rebis.

Le Rebis (hermaphrodite alchimique)
Occulta Philosophia - Azoth - 1624
attribué au frère Basile Valentin

L'Androgyne avec  l'œuf  de la Quintessence
Splendor Solis
Salomon Trismosin
Les enluminures du Splendor Solis sont à admirer sur le site de la British Library.


Enfin, voici la dernière image du Rosarium Philosophorum.
Philosophorum
Rosarium Philosophorum, Francoforti, Cyriaci Iacobi, 1550
(images XXI à voir sur cette page)

Elle illustre l'aboutissement du processus alchimique, autrement dit, la Résurrection.


Voila, je termine ce billet ésotérique par une note musicale de circonstance : l'ouverture de La Grande Pâque Russe "Svetly prazdnik", une œuvre composée par Nikolaï Rimski-Korsakov à la mémoire de Moussorgski  et de Borodine.



©VesperTilia, echos-de-mon-grenier 2011

lundi 18 avril 2011

Annonciations, troisième couche

Gabriel et le sexe des anges

En terminant la seconde partie de "mes" Annonciations, je ne pensais pas y revenir de sitôt. Et puis, certains commentaires m'y ont incitée. Notamment celui de Michel, alias Avignon, qui a insisté sur le côté physique du mystère de l'incarnation. Également celui de Hazlo, à qui j'ai promis un tableau faisant écho à l'Annonciation de Tanner. Et puis bien sûr, ma chère Nathanaëlle qui m'a demandé s'il y aurait un troisième épisode au feuilleton !

D'abord, l'Annonciation de Tanner publiée dans le billet précédent...

L'Annonciation
Henry Ossawa Tanner - 1898 Paris
Philadelphia Museum of Art (U.S.A.) notice du musée

...ensuite, une autre Annonciation, peinte quelques années auparavant par James Tissot
L'Annonciation
James Tissot  - 1886-94
aquarelle opaque (série de 515 illustrant la vie du Christ)
Brooklyn Museum (U.S.A.) notice du musée

Bien que la représentation de Gabriel et l'attitude de Marie soient très différentes d'un tableau à l'autre, je trouve qu'il y a une grande similitude d'inspiration entre cette Annonciation de James Tissot et celle de H.O. Tanner. Cela s'explique, car elles ont un point commun : toutes deux ont été réalisées au retour d'un voyage en Palestine. Tanner a peint la sienne en 1898, après avoir séjourné en Égypte et en Palestine l'année précédente.

James Tissot, quant à lui, fit trois voyages au Moyen-Orient à partir de mars 1886, dans le but d'illustrer une vie du Christ  la plus fidèle possible. C'est en rentrant de voyage qu'il a peint son Annonciation d'après les esquisses qu'il avait faites en Palestine.

Dans le préambule du catalogue de l'exposition de ses œuvres, publiées en 1896 sous le titre "La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ", Tissot raconte comment il a noté dans des dessins préliminaires à ses aquarelles, les paysages, les attitudes des habitants, les détails vestimentaires et architecturaux observés sur le terrain afin d'introduire plus de réalité, voire plus de réalisme, dans sa peinture. Il veut donner à voir des images proches de l'Antiquité « avec le caractère de précision des choses vues et vécues ». Il explique qu'il a voulu représenter les scènes bibliques plus en accord avec les évangiles que celles qui ont été peintes avant lui, auxquelles il reproche d'avoir pris trop de liberté avec l'histoire et la topographie des lieux saints.
Heureuse coïncidence, une exposition «  James Tissot, La vie du Christ » se tient actuellement au Chrysler Museum of Art de Norfolk, en Virginie. Article de presse (en français) page du musée présentant l'exposition (in english). Allez-y voir, c'est grandiose.

Ce qui différencie profondément l'Annonciation de James Tissot de toutes les autres qui ont été peintes avant (et sans doute après) lui, vous l'aurez sûrement remarqué, c'est la représentation de l'Archange Gabriel.
Alors que Tanner figure Gabriel par une colonne de lumière, Tissot, étrangement, choisi de le représenter en Séraphin !

Or, Gabriel est un Archange. Absolument pas un Séraphin. La différence est considérable. L'archange Gabriel, messager de Dieu, est un pur esprit qui peut prendre l'apparence d'un beau jeune homme pour accomplir la mission confiée par son patron.

Les Séraphins, quant à eux, ont pour fonction de glorifier Dieu au sein du paradis. La Bible précise qu'ils ont trois paires d'ailes : une pour voler, une pour se couvrir la tête et la troisième pour se couvrir les pieds. 

Sachant que pieds est un symbole couramment employé à la place de sexe. De là à comprendre pourquoi Tissot a représenté Gabriel en séraphin plutôt qu'en archange... Si quelqu'un(e) a une idée, les commentaires sont faits pour ça.

Maintenant, comme je sais d'avance ce que va répondre Michel, je vais me faire un plaisir de lui couper l'herbe sous le pied !

Les pieds de l'ange Gabriel peint par Tissot étant parfaitement visibles, il est permis de penser que l'artiste a voulu (sans y paraître) représenter le sexe de l'ange Gabriel... Reste à comprendre pourquoi.

Compte tenu de l'intention primordiale du peintre de coller le plus près possible à la réalité des choses, Tissot inscrit ici sa peinture de la vie du Christ dans le courant du Réalisme ambiant de son époque, un mouvement qui se veut exempt de mensonge et de toute tricherie. Montrer le sexe de l'ange équivaut à suggérer qu'il est bien l'Ange de l'Incarnation, un ange inséminateur, porteur non seulement de la parole divine, mais aussi de la divine semence.

L'Annonciation (détail) - Duccio, 1311
The National Gallery, London
Une manière pour Tissot de prendre en compte les sceptiques, ceux qui ont toujours eu bien du mal à croire cette histoire de St-Esprit symbolisé par une colombe chargée de féconder Marie.
Vous pouvez  chercher une colombe dans son  tableau, vous n'en trouverez pas. Rien, nada ! aucune trace, même simplement stylisée comme celle de Duccio dans le détail ci-contre.

Par contre, vous avez sûrement noté le détail qui semble conforter l'hypothèse d'une fécondation par l'entremise de Gabriel : la vierge de Tissot est assise sur ce qui de toute évidence lui sert de couche. Un tableau de Giorgio Vasari est le seul précédent présentant cette particularité que j'ai pu dénicher.

L'Annonciation
Giorgio Vasari - 1564-67
Musée du Louvre, notice du musée

Plusieurs décennies avant Tanner et Tissot, pile-poil au milieu du 19ème siècle, le préraphaélite  Dante Gabriel Rossetti peint Marie à demi couchée sur son lit. Une Annonciation vraiment peu orthodoxe !

Ecce Ancilla Domini !
Dante Gabriel Rossetti - 1849-50
The Tate Gallery, Londres - notice du musée

Regardez bien : Gabriel n'a pas d'ailes et sa robe sans manches, largement fendue sous les aisselles, laisse entrevoir la nudité de son corps. En outre, il pointe la tige de son lys en direction du sexe de la vierge qui le regarde d'un air dubitatif.

Le côté scabreux de ce tableau n'a pas échappé à Chang Li-Ren, un artiste taïwanais qui possède un certain talent pour transformer des peintures en tableaux vivants !  Cliquer sur ce lien patientez un instant et observez ce qui se passe...

La performance de Chan Li-Ren lui a peut-être été inspirée par le nu que Rossetti a dessiné avant de peindre sa vierge habillée. Vous pouvez voir ce nu dans la notice du musée de Birmingham.

Davantage encore que dans l'Annonciation de Tissot, il est permis de penser que le peintre de Ecce Ancilla Domini !  n'ignore pas la symbolique des pieds. Les pieds en feu de Gabriel sont une métaphore visuelle pour signifier l'ardeur de son désir.

L'encensoir en forme de boule, agité en direction de Marie par l'ange de Burne-Jones dans son Annonciation de 1857, est-il, ou non, une autre métaphore visuelle ? Encensoir ou ensemençoire ?... à vous de juger !

The Annunciation (détail)
Sir Edward Burne-Jones - 1857-61
Birmingham Museums & Art Gallery - notice du musée

L'Annonciation de Edward Reginald Frampton est un autre exemple de l'ardeur d'un Gabriel paraissant à la fois fasciné par la vierge qu'il découvre et intimidé par sa mission, la rougeur cramoisie de ses ailes témoigne de son émoi

The Annunciation
Edward Reginald Frampton (1872-1923)
collection privée

Tout à l'inverse, l'Annonciation de Arthur Hughes exprime la chasteté des deux personnages et le profond respect de Gabriel envers Marie. Remarquez ses ailes cachant ses pieds.


The Annunciation
Arthur Hughes - 1857-58
Birmingham Museums & Art Gallery - notice du musée

Encore plus pure et innocente, l'Annonciation du russe Yakov Kapkov

Annonciation - 1852
Fedorovich Yakov Kapkov  (1816-1854)
oeuvre non localisée

Avant de terminer, je tiens à vous présenter une Annonciation de Thomas Cooper Gotch, intitulée Le Message, que je trouve admirable de grâce et de délicatesse.

Le Message
Thomas Cooper Gotch - 1903
Chimei Museum, Tainan (Taïwan) - notice

Pour conclure cette longue étude sur la question byzantine du sexe de l'ange de l'Annonciation, il me vient à l'esprit qu'il n'est pas nécessaire d'aller chercher le symbolisme des pieds pour suggérer la fécondation de Marie par l'entremise de Gabriel.

Prenez une fleur de lys et regardez la bien. Vous ne pouvez pas ignorer le long pistil phallique qui jaillit de la corolle, entouré de six étamines  couleur safran, qui vont immanquablement déposer leur semence sur votre nez, s'il vous prend l'envie de l'approcher pour respirer le capiteux parfum de la fleur !

Lilium Candidum
(crédit photo)

Le lys symbole de pureté et de virginité... vraiment ?...
Pour ma part j'y vois bien plus un symbole de fécondité.

Et je ne serais nullement étonnée d'apprendre un jour ou l'autre de source autorisée que c'était bien là la signification du lys dans les temps anciens et que les peintres qui l'ont placé entre les mains de l'ange Gabriel savaient ce qu'ils faisaient.


©VesperTilia, echos-de-mon-grenier 2011


jeudi 14 avril 2011

En attendant

En attendant que le troisième volet de "mes" Annonciations soit prêt à être publié, je vous propose une petite devinette.

Où suis-je allée me promener hier ?

Square derrière la collégiale

Collégiale Notre-Dame

Quai de Seine en contrebas de la collégiale

EDIT du 14 avril

Un grand bravo à Pat pour avoir identifié si rapidement
la
collégiale de Mantes-la-Jolie   !

Cependant la collégiale, si belle qu'elle soit, n'était pas le seul but de ma promenade...

Qui pourrait dire ce que je suis allée voir d'autre dans cette ville ?


EDIT du 15 avril

Michel et Nathanaëlle ont trouvé ce qui m'a attiré à Mantes-la-Jolie, en dehors (mais tout près) de la collégiale Notre-Dame : le musée de l'Hôtel-Dieu. Plus précisément, le musée Maximilien Luce, qui se trouvait précédemment au deuxième étage de l'Hotel de ville et qui a été transféré au dernier étage du musée municipal de l'Hôtel-Dieu.

Collection Maximilien Luce - Musée de l'Hôtel-Dieu
Mantes-la-Jolie

Dans l'œuvre de Maximilien Luce, dont divers tableaux évoquent la première guerre mondiale, le monde du travail et les bords de Seine autour de son atelier de Rolleboise, il se trouve un portrait de femme que j'aime beaucoup "Madame Bouin à sa toilette"

Madame Bouin à sa toilette
Maximilien Luce - 1901
Musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie - notice du musée

Pour savoir qui était Madame Bouin, reportez vous à ce billet sur la rétrospective Maximilien Luce à Giverny, rédigé à l'automne dernier par Alain, l'auteur de "Si l'art était conté" (un blog répertorié dans ma liste "Allez voir si j'y suis").


Photos © Vesper-Tilia, échos de mon grenier 2011

jeudi 7 avril 2011

Annonciations, seconde partie

Comme suite à ma précédente étude de quelques tableaux d'Annonciation remarquables par leur singularité, j'aimerais revenir un peu en arrière et reparler de Carlo Crivelli, ce peintre inclassable du Quattrocento. Entre parenthèses, moi qui ai toujours eu du mal à situer la date de Marignan au XVIe siècle, j'ai une nette préférence pour cette manière de désigner les siècles italiens. Je trouve que Cinquecento est bien plus facile à visualiser et à mémoriser !
Cette parenthèse refermée, en histoire de l'Art, le Quattrocento équivaut au mouvement appelé Première Renaissance, une période qui s'étend des années 1420 à 1500 et qui couvre toute la vie de Carlo Crivelli (v. 1435 - v. 1495).

En 1486, Crivelli peint "L'Annonciation avec Saint Emidius" pour célébrer la libération de la ville d'Ascoli (voir Annonciations, première partie). Avec ses 207 x 146.7 cm, ce tableau est une  œuvre de grande taille, par rapport à une autre Annonciation de Crivelli qui se présente en deux parties, dont chacune mesure 61 × 45 cm. Ces deux petits tableaux qui représentent l'Ange et la Vierge de l'Annonciation faisaient partie des pinacles d'un polyptyque que Crivelli à peint pour l'église des Dominicains de la ville de Camerino en 1482 (quatre ans avant L'Annonciation avec St Emidius). Une œuvre aujourd'hui démantelée et éparpillée dans différents musées (de même que tous les autres polyptiques de Crivelli, sauf celui de la cathédrale d'Ascoli).
Cette Annonciation de 1482 est conservée au Städel Museum de Francfort-sur-le-Main, la voici :

L'Ange de l'Annonciation
Carlo Crivelli - 1482
tempera sur peuplier
Städel Museum, crédit photos : voir Wikimedia Commons
cliquez sur les images pour les agrandir
Vierge de l'Annonciation
Carlo Crivelli - 1482
tempera sur peuplier
Städel Museum, page du musée

Les reproductions du Städel Museum n'étant pas de la meilleure qualité (inférieures à celles de Wikimedia Commons) regardons ci-dessous un détail de la Vierge, publié par une habitante de Francfort-sur-le-Main ayant pris de nombreuses photos dans ce musée.

Vierge de l'Annonciation - détail
Carlo Crivelli - 1482
 crédit photo

La Vierge de 1482 ne diffère pas beaucoup de celle qui sera peinte en 1486 et, quoique plus sobrement décorée, sa chambre est quasiment la même que celle de "L'Annonciation avec St Emidius".

L'Annonciation avec saint Emidius
Carlo Crivelli - 1486
La Vierge, détail

Par contre, si il y a déjà au-dessus de Gabriel la cage à pigeon qui, quatre ans plus tard, accueillera le messager apportant aux habitants d'Ascoli la nouvelle de leur libération, l'Ange n'a pas cette allure si particulière de celui se trouvant à côté de St Emidius. Allure qui l'apparente plus à un Mercure messager des dieux païens de l'Antiquité qu'à un ange envoyé par le Dieu le Père des chrétiens. Une spécificité que je soulignais dans mon précédent billet en l'interprétant comme une manière détournée - génial Crivelli ! - de célébrer le nouveau statut de la ville d'Ascoli venant de se libérer de la tutelle de l'Église catholique, évènement pour lequel ce tableau a été commandé.

L'Annonciation avec saint Emidius
Carlo Crivelli - 1486
Gabriel, détail
L'Annonciation avec saint Emidius a la particularité de présenter en une seule image l'épisode religieux de l'Annonciation et l'anniversaire de l'autonomie administrative d'Ascoli. La missive apportant la nouvelle de la libération de la ville étant parvenue à ses habitants le jour même de la fête de l'Annonciation, le 25 mars 1482, ils décrétèrent, qu'en mémoire de l'heureux évènement, l'Annonciation serait désormais la fête officielle de leur cité.

Chose étonnante, il se trouve que l'an passé la date le l'Annonciation a été choisie par le Liban pour devenir sa fête nationale. Le 28 février 2010, le Liban a décrété que le jour de l’Annonciation sera non seulement sa fête nationale, mais aussi un jour chômé (lire l'article de La Croix). Vous ne saviez pas que l'Annonciation figure dans le Coran ? alors vous êtes comme moi, vous venez d'apprendre quelque chose !

L'Annonciation, dans un manuscrit persan
notice de la BNF
L'Annonciation dans Le Livre des merveilles du monde
récits de voyage de Marco Polo, manuscrit du XIIIe siècle
notice de la BNF

Ces Annonciations à caractère oriental m'amènent tout naturellement à vous présenter une œuvre d'Henry Ossawa Tanner, peintre d'origine américaine fils d'un pasteur de Philadelphie, qui puisa une grande part de son inspiration dans le Nouveaux Testament. C'est au retour d'un voyage en Palestine effectué en 1897, que Tanner a peint son Annonciation, un tableau surprenant par son originalité.

L'Annonciation
Henry Ossawa Tanner - 1898 Paris
Philadelphia Museum of Art (U.S.A.)
notice du musée

Cependant si on y réfléchi bien, la façon de Tanner de présenter Marie vêtue selon les observations qu'il a pu faire sur le terrain, a plus d'authenticité que les peintures où la vierge est parée des atours de la Renaissance. De même, l'archange Gabriel, figuré par une simple apparition éblouissante de lumière, semble mieux évoquer le mystère de cet épisode religieux, plutôt que les auréoles, lys, colombe et autres attributs symboliques habituellement utilisés.

Sensiblement à la même époque que Tanner, Sir Edward Burne-Jones donne une toute autre version de l'Annonciation, elle aussi dépouillée des attributs ordinairement employés par les artistes des siècles précédents. Si Gabriel a la tête légèrement nimbée en raison de sa nature angélique, Marie n'étant pas encore touchée par la grâce divine se présente, elle, comme une jeune femme ordinaire. Pas de colombe, ni d'angelots, la parole du messager divin suffit.

L'Annonciation
Edward Burne-Jones - 1876-79
Museum of Liverpool
Bien qu'assez sobre, ce tableau de Burne-Jones contient deux allusions aux Annonciations des siècles précédents, italiennes notamment. Le bas-relief représentant Adam et Êve chassés du paradis terrestre et (comme dans celle de Masolino ci-dessous) la porte au bout d'un assez long couloir voûté, symbole de cette chambre de chair où le divin fils va s'incarner.

L'Annonciation
Masolino da Panicale - 1423-24
National Gallery of Art, Washington
notice du musée

Quelques années auparavant, Burne-Jones avait peint pour l'église Saint-Paul de Brighton un triptyque dont la partie centrale représente l'Adoration des Mages et les panneaux latéraux une Annonciation dont l'inspiration, ici aussi, semble puisée à la source italienne.

L'Annonciation et l'Adoration des Mages
Edward Burne-Jones - 1861
parties latérales du triptyque
Tate Gallery, Londres (notice du musée)

Avant de terminer, comme promis dans mon précédent billet sur ce sujet, voici une des plus anciennes Annonciations, en dehors des enluminures, des fresques ou des mosaïques.

Annonciation
portes (tabernacle ?)
120 x 34,3 cm et 118 x 32,2 cm
seconde moitié du XIIème siècle
crédit photo
Ces panneaux se trouvent au Monastère orthodoxe Sainte-Catherine, près du Mont Sinaï, en Égypte.

Dernière chose promise précédemment, une Annonciation contemporaine, plutôt déconcertante :

L'Annonciation
John Collier - 2003
St. Gabriel's Catholic Church, McKinney, Texas

Déconcertante cette Annonciation, essentiellement par la manière qu'a John Collier de donner à ses personnages bibliques l'allure de gens de notre époque. Quelques exemples ici de ses tableaux.


Pour terminer ce billet, j'informe tous ceux qui s'intéressent à la peinture et qui demeurent en région parisienne, ou qui auront la chance de s'y trouver à partir de l'automne prochain, qu'une exposition Fra Angelico va démarrer le 23 septembre au musée Jacquemart-André.


©VesperTilia, echos-de-mon-grenier 2011