Dans le billet précédent, les patineurs de
Paul Gauguin ont retenu, à juste titre, l'attention de plusieurs d'entre vous. Ces patineurs ont été peints lors du séjour de Gauguin à Copenhague, alors qu'il se trouvait dans la famille de
Mette Gad, son épouse d'origine danoise. Notons au passage que (contrairement à ce que l'on peut lire dans les articles de Wikipédia) ce n'était pas la sœur de Gauguin qui était l'épouse du peintre norvégien
Frits Thaulow, mais
Ingeborg Gad, la sœur de Mette, donc la belle-sœur de Gauguin. Voir
ici le portrait d'Ingeborg peint par son beau-frère.
Gauguin et la neige... au premier abord cela semble plutôt antinomique. Cependant, Patineurs dans le parc de Frederiksberg n'est pas le seul tableau hivernal peint par Gauguin, loin de là.
|
La Seine au pont d'Iéna. Temps de neige
Paul Gauguin - 1875
Musée d'Orsay (notice) |
Dans cette vue d'un quai de Seine enneigé, les coloris sans éclat et l'épaisseur de la pâte témoignent de l'influence des peintres de l'École de Barbizon. C'est une peinture encore tout imbibée d'Impressionnisme. Son style est encore très éloigné de ce que Gauguin écrira treize ans plus tard, en 1888, dans une lettre à son ami
Émile Schuffenecker «
Un conseil, ne copiez pas trop d'après nature, l'art est une abstraction, tirez là de la nature en rêvant devant, et pensez plus à la création qu'au résultat. »
Des peintres tels que Monet, Sisley ou Pissarro, ont perpétué la longue tradition des paysages de neige dans la peinture européenne, celle des Écoles du Nord notamment. Les Impressionnistes cherchaient à reproduire les différents effets de neige sur le paysage en tenant compte de sa texture particulière et des réflexions engendrées par la lumière. Gauguin a poursuivi cet intérêt pour la saison morte et pour la neige en peignant une bonne quinzaine de paysages hivernaux.
|
Jardin sous la neige
Paul Gauguin - 1879
Szépmüvészeti Muzeum, Budapest |
Les biographies de Gauguin indiquent qu'il s'est installé au
8 rue Carcel, dans le quartier de Vaugirard, en 1880. Cependant, il habitait déjà dans cette
ancienne commune de Paris depuis 1877, au n° 74 de la rue des Fourneaux, l'actuelle rue Falguière. Les deux peintures, quasiment identiques, ci-dessus sont certainement des vues de
la cité Falguière à l'époque où elle abritait de nombreux artistes peu fortunés.
|
Le jardin sous la neige
Paul Gauguin - 1882
Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague |
Le jardin enneigé ci-dessus est sans aucun doute celui de la maison de Gauguin, dans la rue Carcel. Les trois hautes et sombres cheminées à gauche du tableau sont celles de
l'usine à gaz de Vaugirard, qui se trouvait à l'emplacement de l'actuel
square Saint-Lambert.
|
Vue générale de l'usine à gaz de Vaugirard avant 1900
(cliquer sur la photo pour l'agrandir) |
Construite en 1836, l'usine qui alimentait toute la rive gauche de Paris en gaz d'éclairage ne vécut pas un siècle. Bien que performante, il en émanait des gaz sulfureux qui polluaient tout le quartier et elle fut démantelée en 1929. Pour l'éclairage, l'époque du Gaz à tous les étages était révolue, la Fée Électricité venait d'arriver.
Après cette petite digression, nous retrouvons à présent les trois cheminées de l'usine à gaz de Vaugirard, bien identifiables sur un autre tableau du jardin de Gauguin, peint durant le même hiver.
|
Effet de neige
Paul Gauguin - 1883
Collection Neil A. McConnell, New-York |
Les dimensions (117 x 90 cm) de cette toile en font l'une des plus importantes peintures de la période impressionniste de Gauguin, qui l'acheva en 1883, l'année même où, après avoir abandonné son emploi d'agent de change « l’amour de mon art me tracasse trop la tête pour que je sois un bon employé dans les affaires…» Gauguin décide de devenir peintre à plein temps. Par sa facture, elle est aussi l'une des plus abouties de cette période. Peindre sur le motif en hiver n'était pas chose aisée. Il semblerait que Gauguin ait repris dans son atelier la petite peinture précédente (60 x 50 cm) en la développant et en y ajoutant les deux femmes admirablement placées au premier plan.
|
Osny, rue de Pontoise, en hiver
Paul Gauguin - 1883
(œuvre non localisée) |
En 1883, Pissarro est à
Osny et son ami Gauguin, désormais libre de son temps, l'y rejoint pour peindre ensemble comme ils l'avaient déjà fait en 1876
quand Pissarro se trouvait à Pontoise. C'est dans la rue de Pontoise précisément, que Gauguin et Pissarro choisissent de planter leurs chevalets pour œuvrer de concert.
|
Rue de Pontoise à Osny
Camille Pissarro - 1883
(œuvre non localisée) |
Parlant de son vieil ami, Gauguin écrivit « Si l'on examine 1'art de Pissarro dans son ensemble, malgré ses fluctuations, on y trouve non seulement une excessive volonté artistique, qui ne se dément jamais, mais encore un art essentiellement intuitif de belle race. Si loin que soit la meule de foin, la-bas sur le côteau, Pissarro sait se déranger, en faire le tour, 1'éxaminer. II a regardé tout le monde, dites-vous. Pourquoi pas ? Tout le monde 1'a regardé aussi, mais le renie. Ce fut un de mes maîtres, et je ne le renie pas ».
Au moment où il peint la rue de Pontoise à Osny, il semblerait que l'élève Gauguin a déjà dépassé le maître Pissarro...
À l'automne 1883, Gauguin est toujours sans emploi et ses maigres économies fondent comme neige au soleil. Il pense à quitter Paris pour aller vivre à Rouen, là où les loyers sont moins chers et où il espère trouver un travail lui permettant de nourrir sa petite famille, tout en lui laissant le temps de peindre. Après quelques recherches en compagnie de Pissarro, il finit par trouver une location dans une demeure de l'impasse Malherne, au bas de la rue du Nord. De nos jours cette impasse a été rebaptisée impasse Gauguin.
C'est là que Paul Gauguin s'installe avec sa femme et leurs cinq enfants, début janvier 1884. Un mois tout juste après la naissance de
Paul-Rollon, leur petit dernier né à Paris le 6 décembre 1883, dans leur appartement de la rue Carcel. L'enfant a été prénommé
Paul comme son papa, un prénom auquel ses parents ont accolé
Rollon, pour le distinguer de son père et en référence au légendaire viking (danois ?) comte de
Rouen à l'origine de la lignée des ducs de Normandie.
Dans le tableau ci-dessus, c'est donc Paul-Rollon futur artiste peintre comme son père, que Mette pousse dans un landeau. Un bébé qui, comme ses trois frères et sa sœur va bientôt quitter la France pour le Danemark l'été suivant, lorsque leur mère, lasse d'une vie provinciale sans attrait et des privations dues à la désastreuse situation financière de son époux, finira par prendre la décision de retourner vivre dans sa famille.
|
Vue sur le jardin à Rouen
Paul Gauguin - 1884
Portland Art Museum, Oregon |
Dans
l'article correspondant à ce tableau, qui représente le jardin de la famille Gauguin à Rouen, il est question de son atmosphère hivernale. Les tons clairs semble être un reste de neige qui recouvre le sol.
|
Fin de l'hiver à Copenhague
Paul Gauguin - 1885
Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague |
Juillet 1884, les difficultés matérielles s'accumulant la relation entre les époux Gauguin se dégrade. Mette et Paul se séparent, elle part avec les enfants (et ses meubles) pour retourner définitivement chez sa mère. Demeuré seul à Rouen, Gauguin cherche le moyen de rejoindre sa femme et ses enfants. Ayant trouvé un emploi de représentant au Danemark pour le fabricant français de bâches
imperméables Dillies & Cie,
Gauguin débarque à Copenhague en novembre 1884.
Mette a trouvé un emploi de traductrice et donne parallélement des cours de français. Le travail de représentant de Paul lui laisse assez de temps libre pour continuer à peindre.
Tout pourrait aller pour le mieux...
|
Le jardin sous la neige (éventail)
Paul Gauguin - 1885
The Fitzwilliam Museum, Cambridge (lire la notice)
|
Si vous avez bien suivi, vous aurez reconnu dans l'éventail ci-dessus les motifs de deux tableaux présentés un peu plus haut dans ce billet : la maison de
Jardin sous la neige (1879) et les personnages de
Effet de neige (1883).
Entre 1884 et 1902, Gauguin a peint plus de trente modèles d'éventail, principalement basés sur des motifs qu'il avait accumulés au cours de ses voyages en France métropolitaine, en Martinique et à Tahiti.
Sur le cadre de ce tableau, une plaque précise "
Copenhagen 1886". La notice du musée suggère qu'il a été peint d'après une étude de l'hiver précédent, puisqu'
en 1886 Gauguin était déjà rentré en France.
Son séjour au Danemark a été un fiasco, tant sur le plan professionnel que familial. En juin 1885 Gauguin quitte ce pays, dont il exècre autant le climat que la "pruderie hypocrite" et le conformisme de sa bourgeoisie.
«
Le plus terrible cannibale n'est rien comparé à un propriétaire danois. » écrira-t-il plus tard dans une lettre à sa femme datée de 1891.
En août 1885, revenu à Paris, où sa situation est toujours des plus précaire, Gauguin écrit à Mette «
Si je vends quelques tableaux, j'irai l'été prochain me mettre à l'auberge dans un trou en Bretagne, faire des tableaux et vivre économiquement. C'est encore en Bretagne qu'on vit le meilleur marché. »
|
Pont-Aven sous la neige
Paul Gauguin - 1888
Gothenburg Museum of Art |
Dans cette peinture de
Février 1888, Gauguin s'éloigne de l'impressionnisme et opère ici
une transition basées sur des teintes clairement différenciées en des plans nettement délimités. Une composition dans laquelle
le synthétisme, qui viendra au jour l'été suivant, semble en gestation.
|
Paris sous la neige
Paul Gauguin - 1894
Musée Van Gogh, Amsterdam |
.
Entre juin 1891 et juillet 1893, Gauguin réalisa son rêve "Atelier des tropiques". De retour en métropole, la vente d'une partie des toiles peintes durant son séjour à Tahiti lui permet de louer un deux pièces à Paris,
au deuxième étage du 6 rue Vercingétorix, dans une maison en bois construite à partir de la démolition des pavillons de l'exposition universelle de 1889. Il y emménage au début du mois de
janvier 1894.
Le tableau ci-dessus a sans doute était peint depuis cet appartement.
Fin avril 1894, Gauguin retourne en Bretagne
en quête d'inspiration, mais aussi pour se rendre
au Pouldu afin de tenter de récupérer auprès de
son ancienne aubergiste les toiles qu'il lui avait laissées en gage avant de partir à Tahiti.
Dans l'attente de l'issue de son procès contre Marie Henry,
Gauguin séjourne à Pont-Aven, qu'il quittera fin novembre, après avoir été débouté de son procès faute de preuves et au motif "
en matière de meubles, possession vaut titre".
|
Village breton sous la neige
Paul Gauguin - 1894
Musée d'Orsay |
C'est avant de repartir pour Paris fin novembre 1894, que Gauguin a commencé à peindre le village breton sous la neige. Les contours lourd des toits des chaumières recouverts de neige rappellent les estampes japonaises, celles de
Hiroshige par exemple. La ligne d'horizon très haute, laissant peu de place au ciel où la fumées des cheminées se mêle aux nuages, le clocher de l'église ayant l'apparence austère d'un tronc d'arbre dans un paysage désolé, tout dans ce tableau évoque la tristesse et les privations engendrées par les rigueurs de l'hiver, le froid et la neige donnant à chacun l'impression d'être abandonné de tous.
D'après
la notice du musée d'Orsay, cette toile a été trouvée à la mort de Gauguin dans sa case d'
Attuona, sur l'île de l'archipel des Marquises, Hiva Oa. Recueillie par
Victor Segalen, la toile a été confiée au peintre
Daniel de Monfreid pour qu'il termine les coins que Gauguin avait laissé inachevés.
|
Nuit de Noël, la bénédiction des bœufs
Paul Gauguin - 1894
Museum of Art, Indianapolis (lire la notice) |
Cette étrange nuit de Noël en Bretagne est un fascinant mélange de symboles tels que les affectionnait Gauguin. Les bœufs proviennent de
représentations égyptiennes, tandis que le petit oratoire a été inspiré par une frise javanaise. Gauguin a commencé cette toile lors de sa dernière visite à Pont-Aven en 1894, ce qui en fait son dernier tableau peint en France, bien qu'il ait été probablement terminé en Polynésie.
source pour la biographie de Gauguin
©VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012