Éros debout drapé - Myrina - IIe siècle av. notre ère Musée archéologique Henri Prades - Lattes |
C'est bizarre comme les choses s'enchaînent... Depuis une semaine je concocte un billet que j'aimerais pouvoir vous servir sous peu. Mais sans recette bien établie, la cuisson s'avère plus longue que prévue. Alors en attendant, ce matin je me suis dit, tiens c'est le moment de choisir un poème dans ton anthologie poétique de la forêt, tu ajoutes une illustration ad hoc et le tour est joué !
Eh bien non ! encore une fois, les choses n'ont pas tourné dans le sens que je pensais leur faire prendre. En rouvrant le livre de Robert Harrison Forêts, essai sur l'imaginaire occidental, voilà que je tombe sur un poème dont j'avais coché la page, parce qu'à la fin il y est question de maison. Ce poème, intitulé Pour Harold Bloom, est une traduction puisque c'est Archie Randolph Ammons, un poète américain, qui en est l'auteur.
Je suis monté au sommet
et je suis resté sur les hauteurs dénudées
battues par le vent de tous côtés
et son discours ne me parvenait pas.
Et je ne pouvais lui parler,
car la nature m'ayant entraîné si loin
je suis sorti de la nature
et rien ici ne me montre mon image.
Pour le mot "arbre" j'ai vu un arbre,
pour le mot "rocher" j'ai vu un rocher,
pour le ruisseau, pour le nuage, pour l'étoile,
cet endroit m'a fourni de solides réponses.
Mais où est ici l'image du désir ?
Alors j'ai touché les rochers, leurs croûtes intéressantes,
j'ai effrité l'écorce du sapin,
j'ai regardé dans l'espace, regardé le soleil,
sans trouver la réponse au mot "désir".
Adieu, ai-je dit, adieu, nature si grande et réticente,
tes langues sont scellées dans leur propre élément.
En te taisant tu m'as exclu,
je suis aussi étranger ici qu'un visiteur venant d'atterrir.
Alors je suis redescendu et j'ai ramassé de la boue
pour modeler de mes mains une image du désir.
J'ai emmené l'image au sommet.
D'abord je l'ai posée ici, sur le plus haut rocher,
mais elle ne donnait rien.
Puis je l'ai posée là, au milieu des petits sapins,
mais elle ne convenait pas.
Alors je suis retourné à la ville
et j'ai construit une maison pour y poser l'image.
Et des hommes vinrent dans ma maison et dirent
"voilà une image du désir"
et rien ne sera plus jamais pareil.
A. R. Ammons Pour Harold Bloom, premier poème du recueil Sphere, The Form of a Motion,
traduction de Robert Harrison dans Forêts. Essai sur l'imaginaire occidental, Champs-Flammarion 1992
Le texte du poème en version originale se trouve sur cette page.
On peut interpréter ce poème de différentes façons.
Voici ce qu'en dit Robert Harrison :
Deux autres poèmes de A. R. Ammons sur cette page. Et trois autres ici.
Voici ce qu'en dit Robert Harrison :
Une maison est un endroit où poser une image. Cette image (...) la nature ne peut la loger, mais l'homme et la femme peuvent entrer dans cette maison et dire : « Voilà une image du désir ». Être humain, c'est être lié l'un à l'autre par cette réalité-là. Les gens se parlent, reconnaissent leur parenté uniquement parce que chacun abrite le désir dont l'image habite la maison du poète.
Pour moi, la maison est le lieu où commencent l'art et la culture. L'art a besoin de maisons pour exister. Comme l'escargot, l'art, par le biais de l'architecture, construit ses propres demeures. L'art est avant tout un désir d'images, le moyen peut-être pour la nature de se contempler elle-même.
Olivier Deprez a donné sa propre traduction du poème de A.R. Ammons et en a fait une belle analyse, en se plaçant du point de vue de l'auteur dédicaçant son poème à Harold Bloom critique littéraire.
Deux autres poèmes de A. R. Ammons sur cette page. Et trois autres ici.
© VesperTilia, echos-de-mon-grenier 2011
L'image du désir, tu l'as trouvée avec ton illustration : c'est celle d'un semblable.
RépondreSupprimerBien qu'Éros, ici, n'est pas très en forme...
Et franchement, pour montrer l'image du désir, il vaut mieux être pudique. Donc : maison. :)
Il était pressé, il a mis ses ailes...... Belle soirée.........Enfin..;-)
RépondreSupprimerAvignon :
RépondreSupprimerBien d'accord avec toi, un peu de pudeur ne fait pas de mal dans le monde d'aujourd'hui !
Ceci dit, le désir n'est pas forcément charnel.
Le désir c'est tout simplement l'envie de vivre, le contraire de la dépression.
Les objets de désirs ne manquent pas. Tout ce qui apporte du plaisir dans l'existence est objet de désir.
Pas facile de trouver une illustration. Puisqu'il est question dans le poème d'une image du désir faite à partir de boue, autrement dit de terre, j'ai recherché des statuettes d'Eros en terre cuite. Mais la terre cuite traverse mal les siècles et il en manquait toujours un morceau :D
Quelques lignes plus loin, Harrison note :
RépondreSupprimer" Nous pouvons définir la perte par la mythologie, comme étant la chute du jardin d'Eden, et nous pouvons ensuite identifier l'Eden avec tel ou tel rêve d'abondance. D'une manière ou d'une autre le désir est la perte de la vie, et la perte est la vie du désir. "
La maison représenterait donc l'image du jardin clos perdu où l'on cultive son ptopre désir.
" et il en manquait toujours un morceau "
RépondreSupprimerrassure-toi, le principal est là, caché, " enclos " en sa maison.
Patriarch :
RépondreSupprimerLe désir est volatil, comme le bonheur qui gambade dans le pré et s'enfuit quand on lui court après ;-)
Merci d'être passé et à bientôt.
Jeandler :
RépondreSupprimerContente de voir qu'en plus de tonton Bachelard, nous avons d'autres lectures communes ;-)
Parfaitement d'accord avec toi, la maison remplace le paradis perdu, la demeure originelle.
La maison peut également être une tour d'ivoire, un fort intérieur qui renferme un jardin secret.
Merci Tilia de nous publier tes découvertes.
RépondreSupprimerles désir est vie, comme elle il a mille visages... Merci de ces savoirs partagés!
RépondreSupprimermerci chère Tilia pour tes voeuxs dans mon journal.
RépondreSupprimerJe te souhaite une année de la santé et tous les richesses du coeur!
Le désir pour moi ca veut dire un jouet -haha.
Alba :
RépondreSupprimerMerci à toi de venir me lire. La découverte, en l'occurrence, fut cette statuette d'Eros que j'aime beaucoup.
Chri :
RépondreSupprimerDésir rime avec plaisir, la vie... pas toujours ! Merci d'être passé.
Crederae :
RépondreSupprimerMille pardons de t'avoir un peu délaissée ces derniers temps. Je vais essayer de me rattraper cette année, que je te souhaite belle et magique entre toutes !
Harold Bloom, je ne le connais pas du tout mais j'aime la maison, les maisons qui renferment nos désirs, nos plaisirs, nos larmes, bref nos vies....
RépondreSupprimerBon week-end avec Eros !!!!!
Enitram :
RépondreSupprimerLa maison occupe une place prépondérante dans mon imaginaire, j'en parlerai dans quelques temps.
Bon ouikinde à toi aussi !
Je ne sais pas si j'ai bien compris la poésie mais il me semble qu'il va à l'encontre de nombreux poètes qui trouvent dans la Nature cette image du désir au sens large : désir de Vie, du Beau, du Sens ...
RépondreSupprimerClaudiaLucia :
RépondreSupprimerDans mon billet, j'ai indiqué le lien vers l'article de Olivier Deprez. Je pense que son interprétation est la bonne :
"Que le titre du poème se confonde avec la dédicace au critique littéraire souligne, à mon avis, suffisamment le caractère réflexif du poème, comme si le poète montrait au critique la manière dont il use avec les mots : n'hésitant pas à, ne serait-ce que symboliquement, mettre la main dans la boue. Le poète désigne le lieu de son inspiration, la terre, la nature, et il dévoile dans le même temps le rapport ambigu qu'il a avec cette nature en tant que poète usant des mots comme outil de création. Poète qui a autant besoin de la solitude que procure la nature que de la communauté humaine qui lui procure le sens de ses mots en reconnaissant l'image qu'il propose. Le poème procède en effet en deux temps, cheminement vers les hauteurs et puis retour à la ville, véritable lieu de reconnaissance de l'image poétique forgée par le poète."
Encore merci pour les estampes de Hasui Kawase et les poèmes de ton dernier billet. J'ai beaucoup apprécié.