Scène de ménage

La Bouilloire et le Fourneau

Dans la maison rurale,

la bouilloire fredonne,

le fourneau ronronne,

c'est l'harmonie conjugale.

Mais la bouilloire a mauvais caractère,

de temps à autre elle se met en colère,

car elle ne souffre guère

l'allure cavalière

que le fourneau prend

les jours de grand vent.

Ces jours-là, sortant de sa léthargie,

le fourneau sent s'aiguiser son appétit.

Quand le vent du nord souffle, il faut des calories !

Alors, il mange. Et même, il engloutit

force bûches dans sa bouche qui,

rond après rond, s'agrandit.

Bientôt la bouilloire s'énerve, voilà qu'elle frémit.

"Comment, elle qui n'avale jamais que de l'eau,

peut-elle cohabiter avec un tel goulu ?"

Rien que d'y penser, ça l'échauffe, ça la remue,

ça lui fait monter des vapeurs au goulot.

Sa tension monte, elle fulmine, elle bourdonne,

et en hochant fortement du couvercle, ronchonne.

Le fourneau, qui n'a cure de toutes ces simagrées,

en bougonnant lui répond, inébranlable

"Qu'il est déjà midi, qu'on a mis la table

et qu'avant la demie, tout doit être cuit."

Mais la bouilloire continue sur sa lancée.

Elle ne décolère pas et derechef s'irrite.

Ce faisant, elle est loin d'imiter la marmite,

sa compagne de labeur qui, sans maugréer,

calmement accomplit sa corvée,

cuisant chou et patates en potée.

Imperturbable, le fourneau va son train

disant "si tu n'es pas contente comme ça,

ma vieille, vas te faire cuire un œuf… au plat !"

À ces mots la bouilloire écume,

de rage, elle siffle, elle fume

et furieusement décoche une rafale de gouttes bien senties

sur le dos du fourneau brûlant, qui rit de tout ce bruit,

pensant bien, in petto,

qu'elle travaille un peu du chapeau,

et que ce ne sont point des manières

de cracher ainsi sa colère.

Entre temps, la demie a sonné,

sur la table, la marmite est posée,

et bientôt la voilà vidée.

Maintenant le café est passé,

la vaisselle a été lavée.

Après un petit tour jusqu'à l'évier,

la bouilloire est revenue calmée,

ce voyage lui a rafraîchi les idées.

Le fourneau, repu, ne pense plus qu'à digérer

et ne peut s'empêcher de ronronner.

On va pouvoir méditer en paix.

La Bouilloire et le Fourneau - ©VesperTilia

Cette scène campagnarde m'a été inspirée par mes regrettés oncle et tante qui ont passé toute leur vie dans un petit village lorrain où les maisons n'avaient guère de confort. Comme tout couple vivant sous le même toit, malgré leur bonne entente globale, ils avaient bien quelques disputes de temps à autre, le plus souvent pour des causes anodines. Mais leur entente primordiale et leur estime mutuelle, en un mot leur amour, n'en ont jamais souffert.

Une scène de ménage, ça commence souvent par un reproche qui tombe sur un moment d'énervement de l'autre et le ton monte aussi vite que le lait déborde d'une casserole dans laquelle il commence à bouillir. Tous les couples connaissent ces petites crises qui, en général, ne prêtent pas à conséquence et sont même de véritables soupapes de sécurité. Les petites décharges à intervalles réguliers évitent bien souvent les grosses secousses. Un couple qui se dispute, c'est un couple qui vit !

Mais si les disputes sont trop fréquentes ou vont trop loin, le naufrage n'est pas exclu. Tout dépend des bases qui cimentent le couple. Quand on est jeune, l'amour n'est qu'un mot derrière lequel chacun imagine ce qui le séduit le plus. La stabilité d'une union et ses chances de persistance dans le temps sont inversement proportionnelles au nombre d'illusions entretenues de part et d'autre.

Lorsque vos yeux seront décillés et que vous verrez votre partenaire tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts, et que vous l'accepterez ainsi, à condition bien sûr que cette clairvoyance soit réciproque, il n'y aura plus guère de raisons pour qu'une séparation vous tombe dessus sans crier gare.

À moins que des circonstances extérieures et imprévues conduisent l'un ou l'autre d'entre vous à commettre une grosse erreur de conduite... Alors ce sera là l'occasion pour l'amour qui vous unit de montrer sa force, afin d'être à la hauteur de l'écueil et de vous permettre de faire le gros effort de compréhension qui s'impose pour redresser la barre en pardonnant ce dont l'autre, s'il est de bonne foi, est déjà en train de se repentir.

Moralité : dites oui à l'amour, mais pas à l'amour aveugle ! Entretenez-le avec quelques petites escarmouches de ci de là. Les réconciliations sont souvent ce qu'il y a de meilleur.

De echtelijke ruzie   (Querelle conjugale)
Ferdinand de Braekeleer the Elder  - 1870
(crédit image)

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