lundi 14 février 2011

Rouge baiser

Vous avez regardé le calendrier et vous avez peut-être prévu pour ce soir un repas en tête à tête avec l'élu(e) de votre coeur amoureux. Loin de moi l'idée de vous gâcher la fête, mais cette note-ci ne sera pas bleue, ni rose non plus, comme on pourrait s'y attendre !

Dans la littérature, bien souvent, les histoires d'amour fou finissent mal. Que ce soit celle de Tristan et Yseult, ou celle de Paolo et Francesca, ou bien encore celle de Roméo et Juliette, toutes ces histoires se terminent dans le sang. Du sang bien rouge, couleur de la passion qu'ont éprouvée l'un pour l'autre les amants.

Paolo et Francesca
Jean-Auguste-Dominique Ingres
(date inconnue)
Museo Soumaya, Mexico

Ingres à peint plusieurs versions de ce tableau.

Entre 1813 et 1819, il réalise une trentaine d’oeuvres (peintures et dessins) qui relèvent de ce que l’on nomme la "peinture troubadour".

Il existe sept versions du tableau Paolo et Francesca peint par Ingres entre 1814 et 1860. Six se trouvent dans des musées, en France et à l'étranger, la septième doit se trouver dans le domaine privé, je n'en ai trouvé aucune trace sur la toile. Ces six versions ne sont jamais de simples reprises. Chaque fois, Ingres, éternel insatisfait, introduit des variantes destinées à améliorer le sujet.

Paolo et Francesca
Jean-Auguste-Dominique Ingres - 1855-60
The Hyde Collection, Glens Falls, New-York (U.S.A.)

L'histoire de Paolo et Francesca, telle que la raconte Dante dans l'Enfer de sa Divine Comédie, est plus ou moins une histoire de baiser volé.

Paolo et Francesca, peint par Ingres, illustre l'instant où Francesca da Rimini et Paolo Malatesta s'éprennent l'un de l'autre. Lui est séduit par la beauté de la femme de son frère. Elle, malheureuse d'avoir été mariée de force à un homme laid, ne repousse pas ce beau-frère si jeune et bien de sa personne. 

Paolo et Francesca
Jean-Auguste-Dominique Ingres - 1819
notice Musée des Beaux-Arts, Angers
Une étude très approfondie du tableau d'Angers est à lire ici.

C'est alors qu'ils sont assis l'un près de l'autre en train de lire les aventures de Lancelot soupirant pour sa dame, la reine Guenièvre, que Paolo se penche soudain vers Francesca pour l'embrasser. Le livre tombe des mains de son aimée et ce simple baiser va coûter la vie aux deux amoureux.

Dans le fond du tableau, on aperçoit une ombre menaçante. C'est le mari de Francesca, Giovanni Malatesta seigneur de Rimini, de retour à l'improviste et qui, surprenant son frère en train d'embrasser son épouse, s'apprête à les occire tous les deux.

Paolo et Francesca
Jean-Auguste-Dominique Ingres - 1814
Musée Bonnat, Bayonne

Ingres combine ainsi dramatiquement deux instants critiques, la naissance de l’amour et l’imminence de la mort. Un Éros et Thanatos avant la lettre, Freud étant encore dans les limbes.

La version de Paolo et Francesca du musée Condé à Chantilly est une des toutes premières version de ce tableau, si ce n'est LA première. Elle date de 1814 et a été très probablement peinte pour Caroline Murat, reine de Naples (la plus jeune soeur de Napoléon).

Paolo et Francesca
Jean-Auguste-Dominique Ingres - 1814
Musée Condé, Chantilly (France)

Très proche du tableau exposé à Chantilly, celui du Barber Institute de Birmingham ne diffère que par des coloris beaucoup plus vifs. Peut-être que la toile de Chantilly a connu plus de péripéties...

Paolo et Francesca
Jean-Auguste-Dominique Ingres - 1814-20
Barber Institute of Fine Arts, Birmingham
notice à l'occasion du Valentine’s Day 2010  (en anglais)

Maintenant, essayons de voir ce qui pourrait se cacher dans la version du musée d'Angers. D'abord le décor, avec son banc, son lutrin et ses deux ou trois fleurs dans un vase. Ensuite, une jeune femme un livre à la main et auprès d'elle, un jeune homme pratiquement agenouillé. Vous ne voyez pas ? ça ne vous dit vraiment rien ?...
Si vous avez une idée, écrivez-la en commentaire.


Enfin, il me reste à vous montrer le tableau, d'un peintre contemporain de Ingres, présenté au Salon de 1812 et qui l'aurait inspiré pour son Paolo et Francesca.

Amours funestes de Francesca de Rimini
Marie-Philippe Coupin de la Couperie
- 1812
Musée de Lille

Pour terminer, parmi les nombreuses peintures qui illustrent les amours dramatiques de Paolo Malatesta et Francesca de Rimini, j'ai choisi deux tableaux que je trouve particulièrement séduisants.

Le premier, bien dans le style "troubadour" d'Ingres, est dû aux pinceaux d'un peintre anglais apparenté aux préraphaélites, lui aussi contemporain d'Ingres et qui a certainement été influencé par lui.

Francesca da Rimini
William Dyce - 1837
notice National Galleries of Scotland, Édimbourg (Royaume-Uni)

Le second tableau est aussi d'un peintre anglais, également de la mouvance préraphaélite, qui a vécu dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle et le début du vingtième.

Paolo et Francesca
Charles Edward Hallé (1846-1914)
collection privée


En fin de fin, un petit rappel pour la Saint-Valentin...

     Le baiser     
Auguste Toulmouche - 1886
(tableau non localisé)

...n'oubliez pas le petit souper fin avec votre bon(ne) ami(e)


Source : Crdp Amiens
©VesperTilia, echos-de-mon-grenier 2011


EDIT :
S'il vous reste encore un peu de temps, lisez ce billet absolument formidable d'un professeur de l'École Supérieure des Beaux-Arts de Toulouse. Il réussi un sacré tour de force : faire le lien entre une pub MacDo et le Paolo et Francesca du musée d'Angers !!!


EDIT du 19 février
La réponse à ma question (non résolue) à propos de la version du musée d'Angers se trouve dans le billet suivant "Message subliminal".

30 commentaires :

  1. Pour le tableau d'Ingres, évidement on préfère la version intimiste où les deux protagonistes sont seuls, bien qu'au point de vue technique d'autres versions soient meilleures, mais celle-ci est disons plus heureuse. Quant à Hallé et Dyce, leurs tableaux sont plus expressifs et vraiment superbes. Ah les Préraphélites ! j'adoooore !
    Toulmouchen c'est drôle, j'ai faili le mettre sur mon billet, j'avais fait une rétrospective du baiser et puis je me suis décidée pour Peynet seul.
    Pour répondre à ta question : Heu...je ne vois pas, peut-être Roméo et Juliette de Delacroix ? Mais le vase n'y est pas, fais-tu reférence à un roman plutot qu'à un tableau.
    Bises et belle Saint-Valentin
    Nathanaëlle

    RépondreSupprimer
  2. Mourir pour un simple baiser....Il n'y aurait plus personne sur terre de nos jours....;-)

    RépondreSupprimer
  3. Comme ça, à brûle-pourpoint, j'intitulerai le tableau de Toulmouche "Pierrot et Colombine"...
    Mais en fait, j'ai trouvé :
    "The Kiss. 1886, Oil on canvas, 25”x18.5”, Robert Simon Fine Art, Estate of Mr. Max B. Sussman."

    RépondreSupprimer
  4. Absolument passionnant ton billet si documenté.
    Belle journée Tilia

    RépondreSupprimer
  5. J'ai envie de t'écrire le même compliment que celui d'Alba tellement je trouve ton billet intéressant et bien représentatif de ce jour !
    C'est sûr je reviendrai y faire un tour...
    Bon souper avec ton amoureux !

    RépondreSupprimer
  6. Nathanaëlle :

    Dyce s'est inspiré d'Ingres, ça saute aux yeux ! Son tableau est un savant mélange des styles Troubadour et Romantique, d'autant que l'on puisse en juger...
    Car le tableau a été endommagé dans le passé et une partie en a été retirée, comme l'atteste le morceau de main de Malatesta, posé de manière à la fois menaçante et fantomatique sur le rebord où sont assis Paolo et Francesca.

    Pour la réponse à ma question, j'attends encore un peu, pour voir si quelqu'un aura la même impression que moi. Mais je ferai prochainement un ajout à ce billet, c'est promis !

    Bonne St Valentin à toi aussi et bises en retour.

    RépondreSupprimer
  7. Patriarch :

    Mourir pour un simple baiser, non.

    Par contre, mourir pour des baisers, à la manière dont parle Brassens dans sa chanson :
    "Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente"
    pourquoi pas ? ;-)

    RépondreSupprimer
  8. Avignon :

    Ton commentaire m'a fait sourire, car tu as pris pour une invitation à rechercher le titre du tableau, mon oubli (involontaire) de remplacer, dans mon interface du blog, la mention "ajouter une légende" par le nom du tableau.
    Et tu as fort bien répondu, bravo !

    Mon oubli est à présent réparé. Merci pour me l'avoir signalé.
    Pas sûr que je l'aie remarqué sans ta méprise !

    RépondreSupprimer
  9. Alba :

    Merci de ton gentil compliment, c'est vrai que j'ai passé beaucoup de temps à retrouver les six versions du tableau d'Ingres.
    Me reste le regret de n'avoir pas pu trouver trace du septième, dont parle le mini-site du Louvre.

    Le temps ici n'est pas fameux, je pense qu'il y a mieux chez toi !
    Amitiés

    RépondreSupprimer
  10. Enitram :

    Comme je le dis à Alba, j'ai passé pas mal de temps pour élaborer ce billet, mais c'était un vrai plaisir tant le sujet m'a passionné. En somme, une passionnante histoire de passion !

    à bientôt et bonne soirée de Saint-Valentin

    (j'ai bien crû que ce pouvait être toi qui te serait trouvée le même jour que moi à l'abbaye de Mondaye !)

    RépondreSupprimer
  11. Mais le résultat en vaut la peine, bravo pour ce comparatif. Un facette d'Ingres moins connue et chapeau pour avoir trouvé toutes ces versions. J'aime bien le tableau de Hallé, un style que j'apprécie, et pour le regard de la jeune femme plus expressif encore que le baiser.

    RépondreSupprimer
  12. @ FARDOISE

    Ce qui me plaît le plus dans le tableau de Hallé, c'est l'emprise à la fois ferme et tendre du jeune homme, troublant et séduisant en diable !

    Merci pour tes appréciations, elles me sont précieuses, tant je craignais de rendre ce genre de compilation quelque peu ennuyeuse.

    (je viens de découvrir l'usage des balises html pour la mise en forme des commentaires. Il était temps au bout de 7 mois de "blogage" !)

    RépondreSupprimer
  13. J'aime beaucoup aussi ce travail de rassembler les différentes versions et je suis étonné de voir qu'il y en eut tant pour ce tableau !

    Bon, c'est quelle balise pour la taille du texte ?

    RépondreSupprimer
  14. @ AVIGNON

    Désolée, je ne vois pas comment faire pour augmenter la taille du texte dans les commentaires.

    Si tu as vraiment des problèmes de vue, tu peux peut-être essayer la loupe de windows, ça fonctionne plutôt bien...

    RépondreSupprimer
  15. @ AVIGNON again

    "Paolo et Francesca" n'est pas le seul tableau pour lequel Ingres a réalisé plusieurs versions. Il a aussi fait cinq versions de "Raphaël et La Fornarina". Une d'elles se trouve au Harvard Art Museum et une autre à Montauban.

    RépondreSupprimer
  16. Bonjour,
    je viens de découvrir votre blog en passant par celui de Jean François Cholley et me voilà très enthousiaste. Nul doute que je reviendrai en explorer les archives...
    En tant que peintre, ce qui m'a particulièrement intéressé dans votre billet, c'est de voir comment le personnage "menaçant" évolue avec le temps et les représentations successives. Sur le tableau de Bayonne, il arrive d'un endroit éclairé et son intention est on ne peut plus lisible. Il en vient presque à voler la vedette au couple qui s'embrasse. Et la tenture épaisse devant laquelle ils se cachent ne semble pas les protéger beaucoup , comme dans les autres tableaux. Le premier message est du coup bien mis en évidence : la passion amoureuse participe d'une autre sphère que celle des conventions et elle peut rendre aveugle et surtout imprudent. Et dans le temps du baiser, sont évoquées aussi bien les émotions des acteurs que leurs implications...
    Merci à vous pour cet article. C'est bien, les blogs qui donnent à regarder, et à réfléchir !

    RépondreSupprimer
  17. @ HAZLO

    Merci pour ce commentaire élogieux. Venant d'un peintre, il m'est d'autant plus précieux.

    Pour moi, face à un tableau, réfléchir est secondaire. La peinture est avant toute chose l'affaire du regard et la pensée doit se tenir en retrait. Toute image, étant dictée en sous main par l'inconscient collectif, devrait, dans un premier temps, s'apprécier sans réfléchir.

    Grâce à vous j'ai découvert Antonio Machado. Mettant mes pas dans les siens, j'ajouterai qu'en suivant un chemin on marche toujours derrière quelqu'un et on ne fait que suivre la voie de celui qui l'a tracé. Mieux vaut sortir des sentiers battus pour ouvrir sa propre route.
    Ce que vous faites très bien.

    RépondreSupprimer
  18. Merci pour ce passionnant article et pour le non moins ébouriffant article sur la pub Mac Do !
    Je me suis régalée à la lecture des deux !

    RépondreSupprimer
  19. PS - bravo pour la peinture à l'eau, tu es très forte :-)

    RépondreSupprimer
  20. @ NATHALIE

    Si tu aimes les rapprochements entre peintures et publicités, tu connais sans doute "La Boîte à Images" ?
    Il y a le lien dans ma listes de blogs.

    Je trouve que c'est toi qui est très forte, avec ton APN :)

    Merci d'être passée et à bientôt

    RépondreSupprimer
  21. J'aime beaucoup cette récapitulation. Bravo Tilia! Dans le tableau des préraphaélites, j'ai cherché en vain le mari? Et le baiser de Hallé est loin d'être aussi chaste que ceux de Ingres..

    RépondreSupprimer
  22. @ CLAUDIALUCIA

    Heureuse que mon travail te plaise, les compliments sont toujours agréables à recevoir, merci.
    Le tableau sur lequel le mari jaloux n'apparaît pas (celui de William Dyce) a été endommagé dans le passé et une partie en a été retirée, comme l'atteste le morceau de main de Malatesta, posé de manière à la fois menaçante et fantomatique sur le rebord où sont assis Paolo et Francesca.

    Le Paolo de Hallé est bien plus séduisant que celui d'Ingres. Normal que sa Francesca le bade, prête à s'abandonner corps et âme ;-)

    Ce soir je vais publier la réponse posée à propos de la version conservée au musée d'Angers et à laquelle personne n'a donné la réponse attendue. Sans doute ma question est-elle mal formulée, mais je ne vois guère comment la poser autrement.

    à bientôt !

    RépondreSupprimer
  23. De mon côté, je préfère la cinquième photo, autrement dit, la toute première de Ingres... Mais ceci arrive aussi de temps en temps en musique : le fait que les toutes premières versions soient souvent "meilleures" que les versions postérieures, lol !

    RépondreSupprimer
  24. @ VINCENT

    Tu as sûrement raison. Les six versions sont regroupées dans une même image dans le billet que je viens de publier. Ce qui permet de mieux les comparer.

    Merci de ta fidélité et bon week-end

    RépondreSupprimer
  25. Hé oui Dyce s'est inspiré d'Ingres, bien sur, mais le tableau de Dyce est tellemement plus agréable à contempler... Mais je suis subjective quand il s'agit des préraphaélites lol, j'adore leur style.
    Bon ben... wait and see pour la réponse à ta question lol
    bises et beau week-end

    RépondreSupprimer
  26. Ingres inspiré par le tableau de Marie-Philippe Coupin de la Couperie ?
    Il en a repris point par point les éléments et copié la composition !
    À part l'absence de fleurs, le luxe des murs et le livre bien tenu, on retrouve exactement tout.

    RépondreSupprimer
  27. @ AVIGNON

    Pour les tableaux d'Angers et de Bayonne, c'est évident, je te l'accorde.
    Mais pas pour ses premières versions, exposées à Chantilly et à Birmingham.

    autre chose, regarde ce que je viens d'ajouter au bas du billet "Message subliminal"...
    Pour moi c'est quasiment un flagrant délit de plagiat :D

    RépondreSupprimer
  28. J'ai trouvé passionnantes ces variations sur le thème de Paolo et Francesca ou le baiser volé.
    Votre blog est en soi une véritable oeuvre d'art qui rend bien mièvres tous les autres, à commencer par le mien.
    Bons baisers à vous Tilia
    Gérard

    RépondreSupprimer
  29. Marie-Philippe Coupin de la Couperie est un peintre et non une femme peintre comme il est dit dans l'article.

    RépondreSupprimer
  30. Merci Anonyme, erreur rectifiée.

    RépondreSupprimer